Paul Ingram était un officier de gendarmerie respecté dans sa petite ville proche de Washington. Il vivait paisiblement avec sa femme et ses cinq enfants et toute la famille fréquentait une église évangélique. Vers 1980, ses deux filles, Ericka et Julie, se mirent à fréquenter les retraites organisées par l’Église. C’est dans cette atmosphère charismatique de quête compétitive de l’Esprit saint et de combat contre le démon qu’Ericka eut son premier « flashback » d’abus sexuel.

Quelque temps après, d’autres « souvenirs » ayant émergé, Ericka raconta à sa mère, Sandy Ingram, qu’elle avait été régulièrement violée par son père et par ses deux frères aînés. Les viols avaient cessé, dit-elle, en 1975, lorsqu’elle avait eu neuf ans. Confronté par sa femme, Paul Ingram nia tout.
Puis c’est Julie qui commença à avoir des « souvenirs ». À son tour, elle confessa à sa mère qu’elle avait été molestée par son père et son frère aîné, jusqu’à l’âge de treize ans. Les deux filles firent des déclarations à la police : elles parlèrent alors d’avoir eu des relations sexuelles vaginales, orales et anales avec leur père, sous la contrainte, et ce, jusqu’à leur adolescence.
Paul Ingram fut arrêté. Il nia les faits et dit qu’il ne comprenait pas pourquoi ses filles l’accusaient. Mais il ajouta une phrase curieuse : « Je ne crois pas que j’ai une face obscure (a dark side). » Cette phrase lui était inspirée par la mythologie de son église, qui enseignait que le diable peut manipuler notre « face obscure » et nous faire accomplir des choses que nous oublions ensuite. C’est cette phrase qui perdit Ingram, d’autant plus qu’il la répéta plusieurs fois. Paul Ingram fut interrogé par des inspecteurs persuadés de sa culpabilité.
C’est alors qu’une chose extraordinaire se passa : Paul Ingram n’était plus très sûr de son innocence. Il commença à prier pour demander à Dieu de lui révéler ce qu’il avait fait. Et il obtint des visions dans lesquelles il se vit violer ses filles. Durant les interrogatoires, il arrivait à Ingram de partir dans une sorte de transe légère, et d’en rapporter des visions qu’il interprétait comme des « souvenirs » et qui étaient consignées comme des aveux.
Entre temps, les deux filles continuaient de « se rappeler » : elles racontèrent d’abord que d’autres hommes de la ville, notamment deux amis de leur père, les avaient violées et torturées en groupe. Ensuite, elles parlèrent d’avoir été forcées de participer à des rituels sataniques nocturnes, qui réunissaient des dizaines de personnes et où leur père jouait un rôle de prêtre ; entre autres horreurs, des bébés étaient rituellement tués et mangés. Au fur et à mesure qu’il était interrogé sur ces horreurs, Paul Ingram priait pour « se rappeler » … et confessait.
Il fut seul sur le banc des accusés, car aucun indice ou aveu ne permit d’inculper d’autres personnes. Et, maintenant convaincu de sa « face obscure », il plaida coupable du viol de ses filles. Vers la fin du procès, cependant, il se rétracta ; soudainement, il venait de réaliser que ses visions n’étaient pas de vrais souvenirs, que les viols, les tortures et les rituels sataniques n’avaient jamais eu lieu ailleurs que dans la tête de ses filles et dans la sienne. Mais ses aveux antérieurs pesaient trop lourd : en avril 1990, il fut condamné à vingt ans de réclusion.
Si le procès avait eu lieu deux ou trois ans plus tard, Paul Ingram n’aurait peut-être pas été condamné, car il aurait entendu parler des « faux souvenirs ». Ce phénomène étant maintenant mieux connu, les bavures judiciaires se font plus rares.
L’histoire de la famille Ingram a été largement suivie par les médias américains et a fait l’objet d’un excellent livre, Remembering Satan, de Lawrence Wright, et plus récemment d’un remarquable film de 33 minutes par Nick Nerburn, PAUL : The Secret Story of Olympia’s Satanic Sheriff, visible sur Vimeo.
Histoires vraies de faux souvenirs
Les faux souvenirs sont un phénomène qui a pris une dimension vertigineuse aux États-Unis avec la vogue des psychothérapies régressives (Recovered Memory Therapies), qui ont en commun de chercher la clé des problèmes psychologiques présents dans les souvenirs traumatiques refoulés de l’enfance, et d’utiliser pour cela l’hypnose ou des techniques approchantes, qui provoquent un état de conscience modifiée, hautement suggestible. Le phénomène touche très majoritairement des femmes.
Voici l’histoire typique d’Olivia McKillop.
Dans les années 1970 Olivia avait toujours été une enfant heureuse et épanouie. Pourtant, durant sa dernière année de lycée, elle sombra dans une dépression et entama une thérapie avec Tricia Green. Dès la fin de la première séance, sans qu’Olivia ait évoqué le moindre abus de la part de ses parents (elle se plaignait plutôt d’avoir été trop protégée et choyée), la psychothérapeute Tricia Green lui confia un livre destiné aux adultes qui ont subi des abus sexuels durant leur enfance, mais qui l’ont oublié. Ce livre était The Courage to Heal, de Ellen Bass et Laura Davis, paru en 1988 et vendu à plus de deux millions d’exemplaires.
Sous l’influence de cette lecture et des questions orientées de sa psy aux séances suivantes, Olivia s’est sentie entraînée dans un autre monde. « Progressivement, j’ai commencé à voir ma famille comme vraiment abusive et dysfonctionnelle. » Puis Tricia Green la conduisit à travers des séances de visualisation guidée, pour « faire remonter le passé ». Elle se concentra sur une scène banale de son enfance : un jour, à la garderie, un réparateur était venu s’occuper du piano. « Et soudainement, j’ai visualisé qu’il se couchait sur moi. J’imaginais cet homme en train d’enlever mon pantalon et mon pull et se mettre à me lécher et à m’embrasser partout. »
Ce « flashback », comme l’appela sans hésitation Tricia Green, bouleversa Olivia. Après cette séance, Olivia acheta d’autres livres sur les abus sexuels, le refoulement et les souvenirs « récupérés ». Elle en fut profondément affectée. « Lorsque je me rendis à mon rendez-vous suivant, j’avais endossé l’identité d’une « rescapée de l’inceste » [incest survivor], et il n’y avait plus de retour possible. »
Au fil des séances, de nouveaux « flashbacks » l’assaillirent. « Finalement, je me suis mise à croire que j’avais été molestée par six hommes en tout, y compris mon grand-père, mon père et mon frère Jerry. » Olivia passa ainsi deux ans en thérapie. Elle quitta ses études et déménagea loin de ses parents. Toute sa vie et l’image qu’elle se faisait d’elle-même étaient maintenant dominées par la certitude d’avoir subi d’atroces sévices sexuels de la part de sa propre famille.
Un premier doute sérieux la frappa lorsqu’un enfant se confia à elle (elle était, cet été-là, animatrice dans un camp d’enfant) : « Mademoiselle, mon Papa fait quelque chose de mal avec moi, parce qu’il dort avec moi dans mon lit. » En regardant cet enfant, Olivia réalisa que, dans son enfance, elle n’avait jamais éprouvé la souffrance et la confusion qu’elle lisait maintenant dans ce visage. Grâce au soutien de quelques amis qui, la connaissant depuis longtemps, ne croyaient pas une seconde à ses histoires d’abus sexuel, Olivia parvint à retrouver sa raison et prit conscience d’avoir été manipulée par sa thérapeute. Lorsqu’elle entendit parler du phénomène des « faux souvenirs », ce fut une révélation. Aujourd’hui, elle a renoué avec ses parents et son frère, qui lui ont pardonné ses accusations.
Son cas est tout sauf rare. Des dizaines d’autres sont rapportés dans le livre de Mark Pendergrast, Victims of Memory, le plus complet des livres publiés sur le phénomène des « faux souvenirs ». D’autres cas sont rapportés dans Le Syndrome des faux souvenirs, écrit par Elizabeth Loftus, spécialiste de la mémoire et présidente de l’American Psychological Association avec l’aide de Katherine Ketcham [2].
Aucun des auteurs qui ont exploré et dénoncé le phénomène des faux souvenirs induits par régression hypnotique ne remet en question l’ensemble des témoignages de victimes d’inceste, ni même le fait que des souvenirs d’abus sexuels dans l’enfance puissent être réellement enfouis pour surgir brutalement à la conscience à l’âge adulte.
Le phénomène a été documenté et théorisé par Pierre Janet entre 1885 à 1887. Il est bien illustré par l’histoire de Marilyn Van Derbur, Miss America 1958, qui, à l’âge de 24 ans, a retrouvé spontanément (sans hypnose) les souvenirs des abus sexuels de son père depuis l’âge de 5 ans. Son histoire, qu’elle révéla publiquement en 1991, fit les premières pages de journaux et encouragea nombre de victimes d’inceste à rompre le silence. Voici comment elle explique sa dissociation dans son autobiographie Miss America By Day :
« Le matin, j’étais la jeune fille joyeuse, pétillante, respectée, disciplinée, hautement morale. C’était la réalité pour moi, l’enfant du jour. L’enfant heureux était réel. Mon esprit avait trouvé un moyen de prendre les souvenirs et les sentiments de terreur, d’humiliation, de rage, d’impuissance et de désespoir et de les compartimenter dans une autre partie de mon cerveau, de mon corps et de mon âme. La seule façon de survivre face à une autre nuit était de ne pas me souvenir de ce qu’il s’était passé. Comment pourrais-je passer une journée à l’école en jouant avec mes amis, en répondant aux questions posées par le professeur, en rentrant à vélo à la maison ? Comment pourrais-je survivre à une routine quotidienne si je me souvenais de ce qui m’attendait la nuit ? […] Sans m’en rendre compte, je me suis battue pour garder mes deux mondes séparés. Sans jamais savoir pourquoi, je faisais en sorte, dans la mesure du possible, que rien ne passe entre le cloisonnement que j’avais créé entre l’enfant du jour et l’enfant de la nuit. »
Ce n’est qu’à l’âge de 24 ans que les souvenirs de « l’enfant de la nuit » lui sont revenus. il fait peu de doute que cette histoire est véridique (voir les vidéos sur son site www.missamericabyday.com). Mais il faut noter que Marilyn Van Derbur n’a pas eu besoin de l’hypnose pour se souvenir. Les souvenirs sont remontés naturellement, lorsqu’elle a en quelque sorte décidé qu’elle était mûre pour les affronter.
Il faut se garder de généraliser, mais ce qui est en cause dans la controverse sur les faux souvenirs, ce sont les visions obtenues par des techniques de « régression » relevant de l’hypnose, généralement accompagnées de suggestions de la part de thérapeutes. Ce qui est également en cause est une conception quasi informatique de la mémoire humaine, très éloignée du modèle développé par Janet. Selon Janet, la « dissociation » ne s’apparente pas à l’enregistrement de souvenirs préservés de façon fidèle dans l’inconscient ; il s’agit plutôt de contenus psychiques chargés d’émotions négatives, qui prennent une vie autonome sous le seuil de la conscience ordinaire. Par ailleurs, Janet n’a jamais utilisé ni recommandé l’hypnose pour retrouver des souvenirs, car l’on savait déjà à son époque que l’hypnose pouvait générer de faux souvenirs.
Le scénario classique en question est le suivant.
Une jeune femme consulte un psychothérapeute pour un problème relativement bénin (crise conjugale, problème de poids, dépression, etc.). Le psy, adepte de la théorie selon laquelle l’inceste explique tout, influence sa cliente dans ce sens et l’encourage à retrouver des « souvenirs refoulés », la soumettant pour cela à des conditionnements émotionnels divers, et souvent à des séances d’hypnose. La patiente finit par produire des « souvenirs » d’inceste. Au fil des séances, de nouveaux souvenirs apparaissent, de plus en plus atroces, allant éventuellement jusqu’à des scènes de viols collectifs, de meurtres rituels, de cannibalisme. Les thérapeutes qui accompagnent les patientes dans cette descente aux enfers soutiennent que les scènes visualisées correspondent à des événements réels de la vie de la patiente, dont le souvenir aurait été massivement « refoulé » (repressed). Mais loin d’avoir résolu son problème initial, la patiente se transforme en victime paranoïaque, et il n’est pas rare qu’elle finisse à l’hôpital psychiatrique, après avoir traîné ses proches au tribunal sous les accusations les plus horribles.
Certaines de ces patientes, de plus en plus nombreuses à mesure que le phénomène des faux souvenirs a été mieux connu, finissent par remettre en doute leurs « souvenirs » et parfois se retournent en justice contre leurs thérapeutes. Comme Olivia McKillop, elles passent du camp des incest survivors à celui des retractors. Selon leurs psychothérapeutes, elles ont cédé à la pression sociale et à la honte. Fuyant devant leur réalité intérieure et familiale, elles préfèrent retourner dans le « déni », sorte de refoulement bis.
Mais les « rétracteurs », eux, ne voient pas les choses ainsi : elles pensent avoir été victimes de manipulation mentale de la part de leurs psychothérapeutes. Les « flashbacks » qu’elles ont pris un temps pour des souvenirs réels n’étaient en fait que des productions de leur esprit, déclenchées par suggestion hypnotique, mais aussi par leur propre désir de satisfaire leur thérapeute et de trouver une explication à leur problème. Nombre des ces ex-patientes (ce sont très majoritairement des femmes) se sont regroupées en association et publient une lettre d’information, The Retractor.
Le débat est loin d’être clos. Peu de psychothérapeutes ont fait amende honorable. La plupart crient au complot, et s’efforcent de convaincre leurs patientes que les gens qui parlent de « faux souvenirs » sont motivés par une idéologie réactionnaire et veulent perpétuer le déni de l’inceste. La False Memory Syndrome Foundation est accusée d’être une couverture pour les pédophiles. Tout au long des années 1990, le sujet a secoué et divisé la profession des psychiatres et psychothérapeutes, qui restent encore incapables, d’un côté comme de l’autre, de donner une explication pleinement satisfaisante des phénomènes.
Depuis 1994, plusieurs livres ont commencé à répercuter l’opinion des sceptiques, à explorer l’hypothèse des « faux souvenirs ». Il ne s’agit pas, pour leurs auteurs (comme Elizabeth Loftus ou Mark Pendergrast), de nier la réalité des abus sexuels d’enfants. Cette réalité est courante et effrayante, et personne ne cherche à la minimiser. Précisément, soulignent ces auteurs, la mascarade des faux souvenirs d’inceste nuit fortement au combat légitime des vraies victimes d’inceste. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que tous les souvenirs obtenus sous hypnose sont faux, mais d’aborder le phénomène avec beaucoup plus de prudence.
Souvenirs programmés
Voici un autre récit de « rétracteur », tiré comme celui d’Olivia McKillop du livre de Mark Pendergrast.
« Laura Pasley est l’une des premières à avoir gagné son procès contre son thérapeute, Steve. Elle était allée le consulter pour tenter de résoudre sa boulimie et son obésité. « Dès ma première séance, en 1985, Steve me demanda si j’avais jamais été abusée sexuellement. Je lui ai dit que c’était le cas. Lorsque j’avais neuf ans, à la piscine, un garçon que je ne connaissais pas avait mis son doigt dans mon vagin, à travers mon maillot de bain, sous l’eau. » Mais cet incident, qui avait fortement marqué Laura et dont elle se rappelait parfaitement, n’intéressait guère Steve. « Il m’a dit que je devais découvrir des choses enfouies plus profondément. Il m’a dit que, puisque j’avais un trouble alimentaire, cela signifiait automatiquement que j’avais été sérieusement molestée. Nous sommes donc partis à la recherche de souvenirs enfouis. » »
De relaxations en visualisations, les « souvenirs » ont effectivement commencé à émerger. Laura fit bientôt apparaître dans son esprit des visions de sa mère pénétrant ses organes sexuels avec ses doigts, puis avec un cintre. Son thérapeute lui conseilla de participer à une thérapie de groupe qu’il dirigeait. L’effet de groupe est propice aux flashbacks. Il s’y produit une forme de transe collective, où les « souvenirs » et les ressentiments de chacun stimulent les autres. « J’avais ces flashbacks horribles de recevoir des lavements froids et des objets divers insérés dans mon vagin. Une autre fois, je vis mon frère et ses amis me pendre par les pieds. […] Finalement, je vis des scènes de viol collectif et de viol par des animaux. » L’état de santé de Laura ne s’arrangeait pas. Mais Steve la rassurait : il fallait que son état empire avant de s’améliorer.
Comme bien d’autres, Laura commença à s’éveiller de ce cauchemar lorsqu’elle entendit parler des « faux souvenirs ». « C’était comme si une lumière s’était allumée dans ma tête. Lorsque j’ai réalisé ce qui s’était passé, j’ai appelé un bon psychologue. Je lui ai dit : « Ces flashbacks semblaient si réels ; ils étaient vraiment réels. » Elle me répondit : « Ils étaient réels, mais pas la réalité. » Je n’ai jamais oublié ces paroles. » Laura passa le mot aux autres femmes du groupe. « Maintenant, nous avons toutes arrêté, sauf une fille, qui est vraiment un cas tragique. Elle a accusé sa mère de rituel satanique, et d’avoir assassiné sa sœur jumelle à la naissance. Peu importe qu’il n’y eût qu’une seule naissance enregistrée sur le certificat : elle pense que la secte satanique a trafiqué le certificat. »
Aussi incroyable que cela paraisse, des cas comme ceux d’Olivia McKillop et de Laura Pasley se comptent par dizaines de milliers aux États-Unis. Beaucoup ont d’abord accusé leurs parents, encouragés par leurs psychothérapeutes qui considèrent cette démarche comme libératrice. Et bon nombre sont allés jusqu’à les attaquer en justice. Il y a dix ans à peine, plusieurs de ces procès ont abouti à des condamnations de parents, sur la base exclusive de « souvenirs » déclenchés sous hypnose vingt ou trente ans après les faits supposés.
L’un des cas les plus célèbres trouve son origine dans des souvenirs « retrouvés » par Eileen Franklin en 1988, concernant le meurtre de son amie Susan Nason en 1969. Eileen et Susan avaient alors 8 ans ; elles habitaient dans le même quartier et jouaient souvent ensemble. Susan fut retrouvée assassinée, le crâne défoncé par une pierre. On ne retrouva jamais le meurtrier… jusqu’à ce qu’Eileen, 20 ans plus tard, eut un flashback soudain dans lequel elle vit son propre père, George Franklin, violer et assassiner son amie Susan. Son témoignage, basé exclusivement sur des « souvenirs retrouvés » en thérapies, et jamais corroboré par le moindre indice, a suffi à faire condamner son père.
Dans certains de ces procès, le jury a été impressionné par le fait que les accusations émanaient de plusieurs personnes. Ce fut le cas de la famille Souza, qui aboutit à l’emprisonnement pour 9 et 15 ans d’un couple de 61 ans. Tout commença par les accusations d’une de leurs filles, Shirley Ann, qui se « souvint » en thérapie avoir été sexuellement molestée par eux durant son enfance. Suspectant que ses parents avaient peut-être, par la suite, aussi molesté ses deux enfants (leur petits-enfants), Shirley Ann traîna ces derniers chez un psychothérapeute pour enfants. Celui-ci conclut simplement que les enfants étaient victimes d’une pression anormale de la part de leur mère. Dépitée, Shirley Ann les emmena alors chez un autre psy, qui lui donna le diagnostic qu’elle cherchait : ses enfants montraient les symptômes d’abus sexuels.
Après quelques séances, les enfants commencèrent à avoir des cauchemars à connotation sexuelle. Bientôt, ils étaient mûrs pour témoigner au procès. Nancy, 4 ans, déclara que ses grands-parents mettaient « toute leur main » dans son vagin, et même « leur tête ». Elle décrivit une machine grande comme une pièce entière, avec des mains qui « faisaient mal », que ses grands-parents actionnaient en appuyant sur un bouton. Cindy, sa sœur de 5 ans, raconta d’autres horreurs du même genre. Aucune trace physique d’abus ne fut relevée sur ces enfants. Pourtant, le jury déclara les Souza coupables.
Aujourd’hui, les condamnations de ce type sont plus rares. Le travail d’information de la False Memory Syndrome Foundation a porté ses fruits, et presque tous les États d’Amérique se sont dotés de lois interdisant à une Cour de prendre en compte des souvenirs obtenus sous hypnose. Cela ne règle que partiellement le problème, parce qu’il suffit à une plaignante de ne pas évoquer l’origine hypnotique de ses « souvenirs » pour que ceux-ci soient recevables, et parce que le pouvoir de suggestion ne se limite pas à l’hypnose au sens strict, comme on peut le voir dans l’histoire des Ingram, où ce sont plutôt les pratiques de l’évangélisme charismatique qui sont en cause.
Souvenirs d’abus rituels sataniques
Dans les années 90, le thème des rituels sataniques est apparu de plus en plus fréquemment dans les « souvenirs retrouvés ». Dans leurs « flashbacks », des centaines de patients ont vu des scènes d’une obscénité et d’une violence inouïes, se passant dans un cadre diabolique. Sous hypnose, ils se « remémoraient » avoir subi, dans leur enfance ou leur adolescence, des sévices et des tortures atroces au cours de rituels sataniques impliquant de nombreuses personnes de leur famille ou de leur entourage.
Sur la base de tels témoignages, la rumeur s’est répandue qu’un vaste réseau sataniste sévissait en Amérique ; leurs rituels comportaient notamment des tortures horribles, des viols collectifs et la consommation de chair humaine, notamment celle de bébés qu’ils assassinaient devant leur mère. Ils possédaient des techniques de manipulation mentale leur permettant de faire oublier à leurs victimes tout ce qu’elles subissaient dans ces rituels nocturnes, de sorte que celles-ci menaient une vie d’apparence normale durant le jour.
La rumeur, relayée par les grands médias, prit une ampleur telle que le FBI fut mis sur l’affaire. Aucune trace n’a pu être trouvée des dizaines de milliers de fœtus et de bébés que les satanistes étaient réputés avoir massacrés. Mais, bien sûr, cela ne fit qu’agrémenter la rumeur du soupçon de la complicité du FBI.
La touche satanique des souvenirs récupérés avait été introduite en 1980 par un livre retentissant, Michelle Remembers. Michelle Smith, une femme de vingt-sept ans, souffrait d’une dépression consécutive à trois fausses-couches, lorsqu’elle consulta le psychiatre Lawrence Pazder. Au bout de quatre ans de thérapie, Michelle commença à « se rappeler », dans une forme de transe hypnotique, des scènes dignes d’un film d’horreur.
Encouragée par l’écoute attentive, fascinée et crédule de son psychiatre, elle finit par se convaincre qu’elle avait subi, lorsqu’elle avait cinq ans et durant plus d’une année, des sévices sexuels et des tortures entre les mains d’une secte satanique, menée par le diable en personne, et dont sa mère (décédée à l’époque de la thérapie) aurait été membre. « Ses souvenirs profondément enfouis, restés virtuellement intacts durant vingt-deux ans, ont fait surface avec une pureté qui est un phénomène en soi », commente le docteur Pazder.
Entre autres choses, Michelle aurait été enfermée nue dans une cage pleine de serpents, ou encore enterrée vivante dans une tombe ; elle aurait été témoin du massacre de plusieurs bébés et de fœtus humains, et elle aurait été forcée de commettre des actes sexuels d’une rare obscénité. Après chaque événement, un mécanisme de refoulement programmé par la secte serait entré en action, si bien que Michelle aurait continué une vie d’apparence normale et aurait tout oublié jusqu’à sa vingt-septième année (tandis que ses deux sœurs, elles, n’ont jamais rien remarqué). Michelle Remembers fut un immense succès de librairie, et fut largement responsable de la satanic panic des années 90. C’est le livre qui convainquit Ericka Ingram des pratiques sataniques de son père.
Certaines églises évangéliques américaines, obsédées par le démon, ont fait grand usage des souvenirs récupérés de SRA (Satanic Ritual Abuse). Plusieurs psychothérapeutes qui ont aidé des patients à produire des faux souvenirs de satanisme étaient des pasteurs évangéliques, ou pratiquaient dans un cadre religieux. Parmi la littérature chrétienne, on retiendra Dance With the Devil, un témoignage par Audrey Harper, une chrétienne born-again qui se « rappelle » avoir été plusieurs fois fécondée pour mettre au monde des bébés destinés à être consommés lors de rituels sataniques.
Si vous aimez ce site, ajoutez-le à vos favoris et ... Partagez cet article sur vos réseaux sociaux préférés. .
Tirage gratuit des Tarots |